LES VÈVÈ DANS LE VODOU HAÏTIEN Entre héritages africains, mémoires amérindiennes et création haïtienne Définition, origines, trajectoires et singularité rituelle
- 21/12/2025
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Par: James Desiris
21 déc. 2025 — Lecture : 3 min.
Introduction - Une controverse nécessaire
Ces dernières semaines, un débat d’apparence technique a traversé les réseaux sociaux haïtiens et diasporiques :
D’où viennent les vèvè du Vodou haïtien ?
Relèvent-ils d’un héritage africain direct ou d’une filiation avec les pétroglyphes taïnos précoloniaux ?
La prise de position de Manbo Carole Demesmin, affirmant une filiation taïno des vèvè, en réponse aux propos de Wilky Toussaint, insistant sur leur africanité, a mis au jour bien plus qu’un désaccord d’experts. Elle a révélé une tension profonde dans notre manière de penser l’histoire culturelle haïtienne.
Car derrière la question des vèvè se cache une interrogation essentielle :
comment une culture spirituelle se constitue-t-elle dans un espace marqué par l’extermination amérindienne, la traite négrière, la colonisation, mais aussi par la résistance, la créativité et la recomposition symbolique ?
I. Le vèvè : un acte rituel, non un ornement
Dans le Vodou haïtien, le vèvè est un dessin rituel sacré, tracé au sol à l’aide de farine, de café moulu, de cendre ou de poudre, afin de :
- Appeler un Lwa
- Ouvrir un espace de communication entre visible et invisible
- Ancrer une présence spirituelle
- Structurer l’espace cérémoniel
Le vèvè n’est ni décoratif ni illustratif.
Il est opératif.
Tracer un vèvè, c’est ouvrir un passage.
Mal le tracer, c’est rompre un dialogue.
II. Une écriture sacrée non alphabétique
Le vèvè est une écriture rituelle, un langage graphique vivant, non figé, transmis par la mémoire et le geste.
Il articule:
- Lignes et axes
- Croix et spirales
- Centres et seuils
Il encode la cosmologie du Lwa, ses chemins, son tempérament, ses relations avec les autres entités.
Le vèvè est une théologie dessinée, lisible uniquement dans l’espace rituel.
III. L’Afrique : matrice fondamentale, mais non exclusive
Il serait historiquement absurde de nier l’africanité du Vodou.
Les traditions fon, yoruba et kongo ont transmis :
- Des cosmogrammes
- Des signes rituels
- Une pensée graphique du sacré
Cependant et ce point est crucial aucune tradition africaine connue ne développe un système de dessins rituels au sol, systématiques et individualisés pour chaque entité, tel qu’on l’observe en Haïti.
L’Afrique fournit les principes, non la forme finale.
IV. Les Taïnos : une mémoire enfouie, pas une origine exclusive
Les pétroglyphes taïnos, présents dans les grottes et rochers d’Ayiti et de la Caraïbe, témoignent d’une pratique graphique rituelle liée aux zemis, aux forces cosmiques et à la terre.
Des ressemblances formelles existent avec certains vèvè :
spirales, figures cosmiques, centralité du sol.
Mais aucune continuité historique directe ne peut être établie.
Il s’agit davantage de résonances symboliques que de filiation stricte.

V. Le vèvè : une invention haïtienne née de la contrainte
Opposer Afrique et Taïnos relève d’une fausse alternative.
Le vèvè est une création haïtienne, issue de :
- Héritages africains fragmentés
- Traces amérindiennes résiduelles
- Contraintes coloniales
- Nécessité de dissimulation
- Génie créatif des opprimés
Dans l’espace esclavagiste, l’éphémère devient stratégie.
Le sol devient page.
Le dessin devient langage clandestin.
Le vèvè est alors une écriture de survie, une archive sans papier, une résistance sans bruit.
VI. Une singularité haïtienne dans la diaspora
Ni la Santería cubaine,
ni le Candomblé brésilien,
ni les religions afro-américaines continentales
n’ont développé un système comparable.
Le vèvè est une singularité haïtienne, centrale, systématique, indispensable.
VII. Tracer un vèvè : un geste politique
Tracer un vèvè, c’est :
- Inscrire une mémoire sur une terre confisquée
- Affirmer une continuité malgré les ruptures
- Dire que les morts, les vivants et les esprits dialoguent encore
Le vèvè est une philosophie tracée au sol, un acte ontologique autant que rituel.
Conclusion - Sortir de la simplification
Les vèvè ne sont ni uniquement africains,
ni uniquement taïnos.
Ils sont haïtiens.
Ils incarnent la capacité d’Haïti à transformer des fragments brisés de civilisations détruites en un système spirituel cohérent, vivant et opérant.
Signature
James Désiris
Artiste, chercheur indépendant et auteur
Réalisateur de projets documentaires et fictionnels
Spécialiste des cultures haïtiennes, du Vodou et des dynamiques diasporiques
Membre de l’União Social dos Imigrantes Haitianos (USIH) – Brésil
Credits :Haitian Vodou Mambo Florencia Pierre drawing Veves. Pétroglyphes Taïnos dans la région nord de Sainte-Suzanne, Ayiti. 🇭🇹

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