Allonger une piste suffit-il à faire d’un aérodrome local un aéroport international ? Analyse des critères techniques, scientifiques et réglementaires .
- 07/03/2025
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Réévaluer la notion d’aéroport international : entre cadre normatif et réalité infrastructurelle. L’architecte Leslie Voltaire n’a même pas eu la décence de faire construire une tour de contrôle avant son annonce médiatique… nous avons vu la même chose avec le soi-disant aérodrome des Gonaïves en janvier 2004. Est-ce le point fort de Lavalas ?
La transformation d’un aérodrome local ou domestique en aéroport international ne saurait être réduite à une simple modification de la longueur de la piste, ni à une déclaration administrative. Selon les normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), l’acquisition d’un statut international repose sur une convergence de critères techniques, réglementaires, logistiques et institutionnels inscrits dans une approche systémique de la gestion aéroportuaire. L’aérodrome des Cayes, « inauguré: mercredi comme prétendu aéroport international sans qu’aucun appareil de transport commercial international ne puisse y atterrir, représente une image marquante de cette disjonction entre les exigences techniques et les proclamations politiques.
Sur le plan strictement technique, l’allongement d’une piste, qu’il s’agisse de quelques centaines de mètres ou même de deux kilomètres, ne suffit jamais à conférer à une infrastructure la capacité d’accueillir du trafic aérien international. La longueur de la piste doit être adaptée aux performances des aéronefs ciblés, en tenant compte de la masse maximale au décollage (MTOW), des conditions météorologiques locales et des marges de sécurité définies par l’Annexe 14 de l’OACI. Or, la certification d’un aéroport international ne repose pas uniquement sur la piste : le balisage lumineux, la résistance du revêtement (Pavement Classification Number – PCN), la compatibilité avec les procédures de navigation (PBN) et l’intégration de systèmes d’approche aux instruments (ILS ou RNAV) conditionnent directement la capacité de l’infrastructure à répondre aux standards internationaux.
Conditions réglementaires, douanières et sécuritaires : une matrice de conformité internationale
La classification d’un aéroport comme international implique également le respect de conditions réglementaires rigoureuses, définies par la Convention de Chicago de 1944 et ses annexes, notamment celles relatives à la facilitation (Annexe 9) et à la sécurité (Annexe 17). Tout aéroport international doit disposer de services de contrôle aux frontières, incluant des dispositifs de vérification biométrique, des services de douane conformes aux exigences de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et des infrastructures permettant l’inspection sanitaire et phytosanitaire des cargaisons et des passagers. En l’absence de ces dispositifs, la dénomination « international » ne repose sur aucune base légale reconnue au niveau de l’aviation civile internationale.
L’aérodrome des Cayes donne à voir, dans toute sa crudité, les carences structurelles qui entravent la mise en place de procédures de facilitation conformes aux standards internationaux. À l’inverse de l’aéroport du Cap-Haïtien, dont la transformation internationale avait été accompagnée par la certification effective de ses installations de contrôle frontalier, Les Cayes a été déclaré international en dehors de tout processus de certification coordonné avec l’Autorité de l’aviation civile haïtienne (OFNAC) et les instances internationales compétentes. Ce type de requalification met en exergue un enjeu fondamental : celui de la crédibilité de la politique aéroportuaire nationale.
L’intégration dans les réseaux aériens : une condition fonctionnelle indispensable
Au-delà des critères techniques et réglementaires, un aéroport international doit s’inscrire dans un réseau de connectivité aérienne global, articulant des dessertes régulières opérées par des transporteurs internationaux. Cette intégration repose sur la mise en place d’accords bilatéraux de services aériens (ASA) encadrés par les normes de l’OACI, et sur la démonstration de la capacité de l’aéroport à satisfaire aux exigences opérationnelles des compagnies aériennes. Ces dernières évaluent la qualité des infrastructures, les coûts opérationnels, les procédures de traitement des passagers et du fret, ainsi que la fiabilité des services de navigation aérienne (ANSP).
En l’absence d’accords préalables avec des transporteurs et d’une intégration effective dans les systèmes de réservation mondiaux (GDS), la déclaration d’un statut international demeure une fiction juridique déconnectée des flux réels de trafic aérien. À titre de comparaison, lors de l’inauguration de l’aéroport international du Cap-Haïtien, un Boeing 737 affrété par le département d’État américain avait immédiatement marqué la validation fonctionnelle de l’infrastructure, ce qui contraste avec l’inauguration des Cayes, où aucune liaison internationale n’a été enregistrée.
Capacité opérationnelle et gestion de la sécurité aéroportuaire
Un aéroport international doit également démontrer sa capacité à assurer une gestion rigoureuse de la sécurité, conformément aux exigences de l’Annexe 17 de l’OACI. Cela implique la mise en place d’un programme de sûreté aéroportuaire (ASP), la formation continue du personnel de sûreté, la mise en œuvre de procédures de filtrage passagers et bagages aux normes internationales, ainsi que la coordination avec les services de renseignement nationaux et étrangers pour la gestion des menaces terroristes ou criminelles. Les infrastructures des Cayes, en l’absence de ces dispositifs, ne peuvent prétendre satisfaire aux conditions minimales requises pour garantir la sécurité des opérations internationales.
L’exemple historique de l’aéroport international de Port-au-Prince illustre, avec une éloquence particulière, l’importance de la démonstration de capacité opérationnelle. Lors de la réception du Concorde sous la présidence de Jean-Claude Duvalier, l’atterrissage de cet appareil emblématique n’était pas uniquement symbolique : il validait la compatibilité technique de la piste et la fiabilité des services de navigation, tandis que les procédures de sécurité avaient été spécifiquement renforcées pour cet événement. Aucun dispositif de cette nature n’a été constaté lors de l’inauguration de l’aérodrome des Cayes, révélant l’absence de coordination entre les acteurs techniques, sécuritaires et diplomatiques.
Enfin de compte, la transformation d’un aérodrome en aéroport international ne saurait se limiter à une déclaration administrative ou à un prolongement partiel de la piste. Ce processus repose sur une matrice multidimensionnelle combinant certification technique, conformité réglementaire, intégration dans les réseaux aériens internationaux, démonstration de capacité opérationnelle et sécuritaire, et reconnaissance formelle par les instances de l’aviation civile mondiale. En l’absence de ces éléments, la prétention à l’internationalisation relève davantage d’une stratégie de communication politique que d’une réalité fonctionnelle. Le cas des Cayes met à nu les dérives d’une politique aéroportuaire déconnectée des standards techniques et réglementaires, appelant à une refonte complète de la gouvernance aéroportuaire en Haïti, fondée sur l’exigence de crédibilité internationale et de sécurité opérationnelle.